La Gigantomachie (Alexandre HARDY)

Sous-titre : combat des dieux avec les géants

Poème dramatique en cinq actes et en vers.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en 1612.

 

Personnages

 

LA TERRE

TIPH΃

ALCIONÉE

ENCELADE

BRIARÉE

PORPHIRION

TROUPE DE GÉANTS

JUPITER

JUNON

PALLAS

MARS

APOLLON

VÉNUS

BACCHUS

MOME

MERCURE

VULCAN

BRONTE

HERCULE

LES PARQUES

HÉBÉ

 

 

ARGUMENT

 

Ce sujet, partie imité de Claudian, partie invention de l’Auteur, ne représente que le révolte de la Terre et des Géants ses fils contre Jupiter qui les châtie selon leurs démérites, et en rapporte une glorieuse victoire à l’aide d’Hercule, qui pour ce bon service est reçu au nombre des Dieux, réconcilié avec Junon, et fait son gendre épousant Hébé, Déesse qui préside à la jeunesse beaucoup de Mômes courtisans qui veulent soustraire la plus riche couleur à cette peinture parlante que l’on nomme Poésie, à peine goûteront semblable poème, bien que tout moral et mythologique ; mais pourvu qu’il contente les experts au métier des Muses (comme il y a de l’apparence) je les laisse librement croupir en leur erreur.

 

 

ACTE I

 

LA TERRE, TIPHŒÉ, ALCIONÉE, BRIARÉE, ENCELADE

 

LA TERRE.

Une juste fureur à l’extrême venue,

(Ainsi que le tonnerre enclos dedans la nue)

Emporte mon courage au glorieux effet

Du plus brave dessein qu’oncques Déesse a fait :

Veuve quitte ce deuil, laisse perdre les larmes

À celles qui n’ont point de plus puissantes armes,

Tu t’offenserais trop en ta divinité

Dont l’illustre grandeur passe l’infinité,

Toi qui mère commune établis la Nature,

Toi qui fis du Chaos la première ouverture,

Toi qui fondes l’orgueil des Empires divers

En leurs riches Cités, qui bornes l’Univers,

Qui féconde produis à la fois mille choses,

Qui nourris en ton sein les richesses encloses,

Tu t’offenserais trop, un félon ravisseur

Du trône Olympien permettant possesseur,

Du Trône où ton époux ce Titan vénérable

Dût à cette heure seoir Monarque déplorable,

Que sa crédulité chez un traître germain

Après lui avoir mis le Sceptre dans la main

Confine maintenant, fraude plus que Barbare,

Captif, chargé de fers, aux Cachots du Ténare,

Outre l’acte cruel qu’horrible à proférer

Ma bouche en son aïeul n’oserait référer ;

La pieuse valeur à nos fils criminelle,

Qui voulurent venger l’injure paternelle,

Où consommés du foudre, ou de tourments punis,

Qui perdurables morts renaissent infinis :

 Sus donc race guerrière à ce coup viens sortie

De stature, et de force à l’exploit assortie,

Viens sous notre conseil une guerre mouvoir,

Qui tes parents remette en l’antique pouvoir,

Qui réduise à leurs Lois les Cieux, l’Onde, l’Averne,

Et l’inique destin qui le monde gouverne, v

Les Géants sortent de terre.

Ô spectacle agréable ! Ô chef d’œuvre d’enfants,

Que cet auspice heureux couronne triomphants,

Jette tes yeux là haut divine géniture,

Et de ta Mère apprend ta fatale aventure,

Ce pourpris azuré qui te couvre le chef,

Veut de droit successif être tien derechef,

Un Tyran dessus vous en usurpe l’Empire,

Chacun donc à l’envi sa ruine conspire :

Que chacun bande là ses généreux esprits,

D’en arracher les Dieux qui l’habitent, surpris ;

Ma sage prévoyance a frayé la victoire,

Qui vous causera moins de péril que de gloire,

Mais il faut paravant charger les ennemis,

Que de se reconnaître oncques leur soit permis.

TIPH΃.

Bien qu’à peine le jour éclaire ma paupière,

Une ardeur à ces mots me transporte guerrière,

Mon courage ne croit obstacle rencontrer,

Que puisse ton espoir infaillible frustrer.

LA TERRE.

Non, seul tu suffirais à leur tourbe opposée,

Dans une oisiveté couarde reposée,

De qui le plus mauvais a d’armes seulement,

Certain foudre qui bruit sans nuire nullement,

Qui frappe à coups perdus sur les roches moussues

Ses atteintes encor d’ordinaire déçues,

Capable d’ébranler quelques faibles cerveaux,

À porter ce fracas de nuages nouveaux,

 Non pas vous, que la peur impassibles n’aborde,

Et qui n’avez besoin que de ferme concorde,

Vous qui sous mon Bouclier, sous mon aile couverts,

Tenez supérieurs le frein de l’Univers.

ALCIONÉE.

As-tu ce peu conquis, nouveau sujet capable

D’exercer nos valeurs contre un monde coupable ?

Pourvois d’heure tes fils qui demandent guerriers,

Un champ où leur vertu trouve assez de lauriers.

LA TERRE.

Ne vante plus Junon ta belliqueuse race

Qui sans Père commande aux fiers peuples de Thrace,

Notre couche rabat cet orgueil importun

Qui t’oppose cent Mars et plus braves à un,

Notre couche aujourd’hui non d’engeance si belle,

Mais plus hardis, éteint le renom de Cybèle :

Sus reliques d’espoir, sus refuge dernier

Qui sais venant au four les armes manier,

Renflamme ton courage, assouvi ma vengeance

Donne à ma vieille haine une prompte allégeance,

Rase ces Tours d’airain qui flanquent dans les Cieux,

Chacun face a l’envi combattant à mes yeux :

Typhώ tu iras arracher le tonnerre

Dedans le poing tremblant du Dieu qui le desserre,

Tout l’Olympe rempli de tumulte et d’effroi,

Son sceptre à même temps saisi te voilà Roi.

ALCIONÉE.

Que nous autres soyons exclus de l’héritage,

Traités comme bâtards qui n’entrent au partage 

D’autres accepteront l’inique paction

Seul couronné qu’il soit seul à telle action.

LA TERRE.

Aveugle en mes desseins tu t’abuses de croire,

Qu’un seul Empire arrive à si grande victoire,

Neptune quittera de suite son Trident,

L’autre ira de Pluton la place possédant,

Celui-ci régnera sur les fleuves liquides,

Cet autre sur les vents, sujets, prompts et perfides,

Outre que mon pouvoir garde non limité,

Mille guerdons pareils à une extrémité,

Outre que spectatrice égale je dispense

Selon chaque labeur la juste récompense,

Moi de soin libérée et de fers les Titans,

Vous êtes trop heureux, vous êtes trop contents.

BRIARÉE.

Curieux n’éconduis de grâce ma demande,

Quel exercice fait leur invisible bande ?

Quel nombre d’ennemis à combattre avons-nous ?

Qui d’elle plus hardi sait mieux aller aux coups.

LA TERRE.

Là seulement mes fils, les délices abondent,

Là des courages vrais aux vôtres ne répondent,

La Juppin préféré de puissance et de nom,

S’occupe à décevoir sa jalouse Junon ;

Une Minerve après qui contrefait la sage,

Un Mercure qui sert à l’Amoureux message,

Certain Mars étourdi l’assiste quelque fois,

Que l’on dit présider ès belliqueux exploits,

Mais tout efféminé, l’amour passion folle

Au sein d’une Cypris détrempe l’âme molle,

L’attache jour et nuit, si bien que les mortels

Du désordre allumez dédaignent ses Autels,

Si que là nous n’avons résistance qui dure,

Qui l’assaut général de vos forces endure.

ENCELADE.

Les femelles entr’eux excellent en beauté,

Appas qui m’induit plus qu’aucune Royauté,

Fais leur description véritable, ma Mère ;

Et pense qu’ajoutant l’amour à la colère,

Tu presses d’aiguillons incroyables les cœurs,

Qui nous feront plutôt de la moitié vainqueurs.

LA TERRE.

Chacune en son espèce également parfaite,

Proie certaine après une entière défaite,

Éblouira vos yeux de merveilles ravis,

D’elles en plein banquet à la table servis,

Qu’abreuve le Nectar, que repaît l’Ambrosie,

Une moisson de fleurs dessous les pieds choisie,

Du plutôt qu’à ces Dieux du Ciel précipités,

Ma justice assortit les tourments mérités,

Du plutôt qu’absolus en la voute Céleste,

Heur quelconque chez vous défectueux ne reste,

Le monde obéira, mille Temples ouverts

Se consacrent à vous Démons de l’Univers.

TIPH΃.

Successeur désigné du Monarque suprême,

Sa Junon m’appartient par une raison même,

Heureuse que mon lit la daigne recevoir !

Que sa beauté sur moi s’obtienne ce pouvoir !

Plus amoureux d’honneur, plus ardent à la guerre,

Qu’à ces lâches plaisirs où la vertu s’enferre,

Je ne voudrais qu’après la sueur des combats

Reprendre un peu d’haleine à semblables ébats.

ALCIONÉE.

Mon amoureuse part la couche se réserve,

D’une que tu nommais ce me semble Minerve,

Nom qui depuis m’incite agréable à l’aimer,

Qui me vient de l’objet les moelles enflammer,

Ah ! que déjà n’es tu, notre guerre passée,

Un Laurier sur ce front entre mes bras pressée !

ENCELADE.

Au moins demeurera l’inconstante Cypris,

Notre amoureux butin, son adultère pris,

Son Thrace dessus qui la bataille échauffée,

Ma dextre se destine un superbe Trophée,

Premier je le joindrai qui ne peut m’échapper,

Non plus qu’elle ma flamme amoureuse tromper.

BRIARÉE.

Pourvus ne présumez que l’ombre me contente,

Que mon bouillant désir se paie d’une attente,

Toutes s’exposeront à la Communauté,

Toutes me permettront la même privauté,

En cas que le hasard ne seconde ma braise

D’une particulière Amante qui l’apaise ;

Où bien afin de mieux éteindre ce discord

Qu’on remette leur chois à la chance du sort.

LA TERRE.

Ne te martèle point d’une jalouse envie,

Diane t’est acquise en leur troupe asservie,

Plus belle que le jour que donne son Germain,

Chasteté que plusieurs espérèrent en vain,

Tu l’auras, mon suffrage obtenu te la donne,

Mon vouloir à toi seul cette fleur abandonne,

De qui beaucoup de Dieux souffrirent le refus

De qui les doux appas te ravissent confus,

Moindres et derniers fruits que la victoire apporte

Si vaillants comme il faut à l’effet on se porte ;

Prenez garde sur tout que la division

Ne vous face des mains glisser l’occasion. 

TIPH΃.

Toi-même presse la, souveraine commande,

Que par quelque lieu propre on attaque leur bande,

Arme ta géniture éprouvant sa vertu

De telle volonté pourquoi diffères-tu ?

LA TERRE.

Mon esprit soucieux bandé sur l’entreprise

Désigne aussi l’endroit plus propre à la surprise,

Et qui plus fortifie une rébellion :

Or sus venez enter Osse sur Pélion,

Épouvantables Monts, dont les cimes cornues,

Un foudre défié outrepassent les nues,

Pinde proche nous peut suppléer leur défaut,

Après à coups de main se donnera l’assaut,

Et après on s’obtient sur la Troupe immortelle,

Qui ne pense à rien moins comme une Citadelle ;

D’armes vous les avez en ce corps maternel,

Une source chez lui de secours éternel,

Les gros Arbres fournit, les montagneuses Roches,

Que vos bras lanceront aux premières approches,

Présente ne craignez qu’aucun manque de rien,

Le principal consiste à faire tôt et bien.

ENCELADE.

Ma dextre suffirait, oui le seul Encelade

Hardi peut emporter l’Olympe d’escalade,

Son farouche regard met en fuite les Dieux,

Et ne prétends borner mon Empire des Cieux.

ALCIONÉE.

Sans vantise mon ombre assez forte se vante

De leur donner à tous la chasse, et l’épouvante

Voire le simple bruit entendu de nos pas,

Réputés Immortels les astreint au trépas.

BRIARÉE.

Alors que ces cent bras commenceront l’orage,

Qui d’eux ne pâlirait abattu de courage ?

Épargne ce labeur à mes autres germains,

Tu te peux trop venger avec ces seules mains.

TIPH΃.

Le premier que na Mère honore du Trophée,

Nul de vous ne le brigue importun sur Typhώ,

La gloire m’en est due, et je puis d’un revers

Hors de ses fondements écrouler l’Univers.

LA TERRE.

L’indicible soulas qui mon âme contente,

À vous voir courageux surpasser son attente,

À vous voir si remplis de magnanime ardeur,

De zèle obéissant, de pieuse candeur,

À vous voir du dessein ministres si capables,

Si propres à punir nos ravisseurs coupables :

Réjoui-toi Saturne en ce monde écarté,

Qui te rends sous mes fils la chère liberté,

Console toi d’espoir désastreux Prométhée,

Ta poitrine dans peu ne sera becquetée

De l’exécrable Oiseau qui te fait remourir,

Mon charitable soin veille à te secourir :

Or vous principaux chefs établis sur l’armée

Recevez une flotte en ce ventre semée,

Qui prête va sortir à l’accent de ma voix,

D’autres Géant muets sortent de la terre.

Sus Géants qu’on s’efforce une dernière fois,

Le nombre me suffit, allons braves gendarmes

Monts sur Monts entassés mettre la main aux armes,

L’extrême diligence importe de beaucoup

Surprendre l’ennemi sera faire un grand coup.

 

 

ACTE II

 

JUPITER, PALLAS, MARS, APOLLON, VÉNUS, BACCHUS, MOME, MERCURE

 

JUPITER.

Le sujet Immortels qui mandez vous assemble

D’apparence léger à ces vagues ressemble

Que le Nord peu à peu plus mutin se levant

Va des abymes creux aux Astres élevant :

Un Pilote inexpert qui néglige l’orage,

Sans plainte adonc se voit le butin de sa rage,

L’art prévenu ne peut le péril écarter,

Ne peut de son destin le malheur éviter ;

Ainsi des Terre-nés la rebelle entreprise

De prison nous menace, et le Ciel de surprise,

Leur Mère détestable animant ce forfait,

Que les Titans punis laissèrent imparfait,

La vindicte couvée en ses fières entrailles

Veut à de nouveaux fils nouvelles funérailles :

Téméraire projet, nuageuse vapeur,

Qui n’engendre non plus de danger que de peur,

Et à elle, et aux siens honteusement fatale,

Pourvu qu’une valeur la prévoyance égale

Que chacun d’heure ici se range à son devoir,

Ton avis là dessus Pallas fait le savoir.

PALLAS.

Monarque Tout-puissant, seul semblable à toi-même,

Quelle prudence peut sur la tienne suprême ?

Ne serait-ce ajouter une lampe au Soleil

Si ma présomption te donne du Conseil ?

Fidèle néanmoins ta fille t’ose dire,

Qu’onc attentat ne fût plus digne de ton ire,

Que tu ne peux trop tôt repurger l’Univers,

Pareil révolte éteint de ces monstres pervers,

L’intention chez eux surpasse criminelle,

Tout ce que de tourments à la nuit éternelle,

Et leur peine exemplaire aux siècles à venir,

Dut empêcher ce mal de jamais revenir.

MARS.

La charge m’appartient, souffre Père que j’aille

L’insolence punir d’une vile canaille,

Que l’effroi, que l’horreur à mon Coche attelés,

Que le meurtre et la Parque à mon aide appelés,

Étouffe des Géants l’audace téméraire,

Plutôt que commandé tu vois l’œuvre parfaire,

Ta gloire se profane et déprime trop bas

D’entreprendre aujourd’hui sur mes simples ébats.

APOLLON.

Le trop d’opinion mainte fois nous abuse,

Ma lumière à l’aspect de ces Monstres confuse,

Mes Coursiers éperdus, que la voix, que la main,

De pousser plus avant s’efforcèrent en vain,

Prouvent que le sujet mérite qu’on y pense,

La nature frémit à part elle suspense

Sur le succès douteux de ce complot mutin,

Dont le secret demeure encor chez le Destin,

Mercure t’en dira davantage mon Père,

Non que sous ta tutelle oncques je désespère.

JUPITER.

L’exemple des Titans donne à conjecturer,

Que surpris un affront nous pourrions endurer,

Que la Terre maligne, et commune ennemie,

Le reste de sa haine ès Géants a vomie,

Ses défauts remparez du dommage souffert,

Quelque renfort perfide et qu’on ignore offert,

Bref l’affaire suspect veut que chacun s’apprête,

Parant à point nommé le coup de la Tempête,

Qui passera soudain sans dommage pourvu,

Qu’un mépris ne nous tienne après l’avoir prévu.

BACCHUS.

N’épargne Jupiter mon courage fidèle,

Que la bouche ne vante un valeureux modèle,

Ennemi du discours je n’aime que l’effet,

Ma simple et franche humeur de parade ne fait,

Toujours prêt néanmoins où marche ton service

À ne paraître point de la guerre novice,

À paraître toujours le premier sur les rangs,

La part où les périls donnent plus apparents.

MOME.

Croiras-tu Jupiter une parole vraie,

Qu’en ce buveur me plaît la contenance gaie,

Jaçoit qu’au demeurant d’assez pauvre façon,

Plus que ce Thracien il est mauvais garçon,

Lorsque fortifié de sa douce purée

La victoire jamais ne le quitte assurée ?

Ayons le hardiment pour chef aventureux

Ou ce Mars insensé nous rendra malheureux.

MARS.

Avise à refréner ta langue libertine,

Que jusques au gosier je ne la déracine

Lassé de tes brocards qui piquent impudents.

JUPITER.

Tais-toi Mome, silence, ou rentre la dedans.

MOME.

Femme de naturel qui fait tout le contraire,

Je ne parle qu’alors, qu’on m’enjoint de me taire.

VÉNUS.

Hélas ! quelle frayeur m’agite les esprits !

Donne quelque retraite, Ô Père à ta Cypris,

Qui de la cruauté de ces monstres gardée,

Ne l’expose parmi le combat hasardée,

Elle qui ne sait pas les armes manier,

Tu ne lui dois un lieu de franchise nier.

MOME.

Possible qu’elle craint perdre son pucelage,

Si deux fois on le perd : mais non, reprends courage,

Tu vaincras les Géants du rayon de tes yeux,

Que leur doit le Tonant opposer gracieux,

Belle proie d’abord à ces Mâtins offerte,

Ta rare piété empêche notre perte,

Remettons tout au pis, ils ne te feront rien,

Que duite à ce métier tu ne l’endures bien.

JUPITER.

Tu t’émancipes trop, ne crains ma Cythérée,

Ainsi que tu le fus sous mon aile assurée,

Non le moindre péril ne te viendra toucher,

Ma fille ton salut plus que le mien m’est cher,

Ne te travaille point, vis tranquille et joyeuse,

Mais tu sembles Pallas ruminer soucieuse,

Déclare le motif qui ton cerveau prudent,

Ébranle sur l’objet d’un futur accident.

PALLAS.

Certain oracle vieil me remet en mémoire,

Que l’Olympe remporte une illustre victoire,

Si pressé d’ennemis on s’adjoint un mortel,

Or ton Alcide ôté quel autre sera tel ?

Quel autre suffirait à croître ce beau nombre ?

Quel autre à le sortir d’un périlleux encombre ?

Nul certes, sa valeur qui mérite les Cieux,

Nettoie l’Univers de Monstres vicieux,

Sa valeur qui vieillit dessous l’expérience,

Montre que lui dévons une ferme fiance,

Montre qu’apportera ce notable secours,

Outre que les Destins par là prennent leurs cours.

JUPITER.

Tu préviens la parole, et non pas la pensée

Qui tenait là dessus mon âme balancée,

Alcide ce chef d’œuvre en qui malgré Junon,

Notre vivante image apparaît au renom,

Alcide que redoute et le Ciel, et l’Averne,

Que la gloire conduit, que la vertu gouverne,

Désirable nous sert grandement au besoin,

Quelque part que posé sa masse dans le poing,

Ne craignons des Géants approche ne surprise,

Ne craignons que jamais ce Lyon lâche prise,

Dès le berceau sa dextre a des Monstres occis,

Ha ! combien tel espoir allège nos soucis !

Mercure de retour en fera l’ambassade,

Afin que l’on l’emploie ici selon le grade,

Que ce faix glorieux à plusieurs divisé

Devienne plus léger ; où du moins plus aisé.

MARS.

Ô le lâche projet ! l’infâme vitupère !

Ô Conseil qui me tue et qui me désespère,

Que tu n’approuverais sinon pour te moquer,

Le secours d’un mortel à cet’ heure invoquer ?

Qu’on recherche impuissants son ancre salutaire,

En la dextre d’un homme à Clothon tributaire ?

Juge Saturnien repense de plus près

Combien l’erreur importe à ton Empire après,

Les humains te croiront de leur force dépendre,

Tes Autels profanés se réduiront en cendre,

Suspect de couardise, où bien de trahison,

Tu nous offenserais sans aucune raison,

Qui n’empruntâmes point de mortels à défaire

Ces superbes Titans, plus difficile affaire,

Prive-moi du Nectar paravant que donner

Un rival qui ma gloire ose parangonner.

MOME.

Toujours ce querelleux apporte du désordre,

Mâtin qui ne veut pas mordre, ne laisser mordre,

Mille fois plus rempli de vent que de valeur,

Témoin lorsque réduit à l’extrême malheur,

Othus le fit vaincu son prisonnier de guerre,

Et qui ne l’eût recouds un cachot dessous terre.

MARS.

Souffres-tu Jupiter que ce rustre imposteur ?

MOME.

La vérité te put et menteur et vanteur.

JUPITER.

Sur peine de sentir ma colère embrasée,

Mome réserve ailleurs tes propos de risée ;

Quant à ce qui concerne un sérieux discours,

Le Thébain proposé nous donnera secours,

Sa vertu l’ennoblit, mon sang le déifie,

Son invincible bras l’Olympe fortifie,

S’oppose qui voudra, notre Oracle rendu

Lui défère l’honneur légitimement dû.

Honneur que retardait sa marâtre inhumaine,

Ce Héros qui n’a point d’ostentation vaine,

Souple à ma volonté du courage répond,

Et seul n’occupe un champ de Lauriers si fécond,

N’usurpe Odrysien chose qui t’appartienne,

Chacun donc sans envie à son propre se tienne,

S’efforce, s’évertue en ce pieux devoir,

Un capable guerdon certain de recevoir,

Que lui dispersera ma dextre libérale,

Dextre qui sans faveur tient la Balance égale,

Et non plus au divin, qu’au terrestre séjour,

Voici notre espion Mercure de retour ;

Que font les ennemis ? sus dépêche révèle

Où butte leur dessein pour première nouvelle.

MERCURE.

L’horrible impression du péril apparent

Me coupe la parole en le remémorant,

L’État Céleste court une étrange fortune,

Celui du noir Pluton, et du moite Neptune :

Père n’estime pas que ce révolte soit

Comme les précédents, où l’erreur te déçoit :

L’extrême désespoir de la Terre animée,

A vomi contre nous une monstrueuse armée

De Géants que Phœbus n’oserait regarder,

Qui chez l’Aurore font sa course retarder :

Les dépeindre selon leur véritable forme

Du tout prodigieux, et de stature énorme,

Tel a cent bras qu’il peut déplier à la fois,

Qui dépeuplent à coup les chênes d’un grand bois,

Beaucoup heurtent du chef la Machine étoilée,

Leur mère sous les pas de ses fils ébranlée,

Tu les peux Jupiter voir au travail ardants,

Planter Monts dessus Monts, ton trône prétendants,

Œuvre fort avancé par la troupe brigande,

Qui de venir aux mains avec les tiens demande :

Or toi commun refuge, ainsi que sage chef

Avise à prévenir la chute du méchef.

JUPITER.

Une résolution termine cette guerre,

Foudroyés, embrassons la face de la Terre,

Demeure sa mémoire éteinte à l’avenir,

Qu’elle ne puisse plus créer où contenir

De rebelles sujets la monstrueuse engeance,

Ma justice lui doit une telle vengeance ;

Rien après ne pourra notre calme troubler,

Rien que dessous nos lois équitables trembler.

PALLAS.

Pardonne si ma voix te profère hardie

Ce remède cruel passer la maladie,

Ta clémence à toujours surmonté ta grandeur ;

Donc semblable courroux modère son ardeur,

Chacun sait que la Terre, et sa race complice

Ne mérite que trop, voire un pire supplice,

Mais beaucoup en son sein de peuples innocents

T’érigent des Autels, te versent de l’encens,

Sa totale ruine entrainerait commune,

(Insigne cruauté) l’Empire de Neptune.

Ton pouvoir ce faisant diminue à moitié,

Que plutôt ma prière émeuve ta pitié,

Puni sur les Auteurs l’abominable crime,

Que ton juste courroux ne prenne autre victime,

L’Olympe en ce dernier les tumultes éteint,

Et le calme éternel de son repos atteint.

JUPITER.

L’excessive indulgence anime telle audace ;

Toutefois tu rompras l’effet de ma menace.

Avisons seulement bien munis et pourvus,

Les aguets ennemis inutiles prévus,

Qu’à la première charge ensemble on extermine

Cette troupe rebelle, impieuse vermine,

Reprends là-bas ton vol Mercure, va léger,

Le Forgeron boiteux avertir du danger,

Nous faire tenir prêts ces foudres à trois pointes,

Ces armes à la Parque inespérables jointes,

Sans nombre, mais soudain : vous autres tous ici

Prenez à mon exemple un belliqueux souci.

MOME.

Ton Harnais n’a besoin que plus on le fourbisse,

Qui ne souffre jamais que la rouille y croupisse,

Mars en saurait que dire.

VÉNUS.

Hé ! Cieux suis-je toujours

Le jouet d’un faquin qui martyre mes jours ?

MERCURE.

Père n’omets-tu rien requis à ton service,

Que ce même voyage enchargé l’accomplisse ?

JUPITER.

Écoute patient, de là trouve soudain

Hercule où il sera, ce belliqueux Thébain,

Et l’amène assuré sur ma ferme parole,

Qu’entre les Citoyens de l’Olympe on l’enrôle,

Que son bras reconnu capable défenseur,

De ce divin séjour le fera possesseur,

Chez ce Héros la gloire épargne ta faconde,

Gloire qui ce dessein d’elle même seconde,

Gloire qui le ravit à son propre élément,

Et plutôt que la bouche ouverte seulement.

MERCURE.

Pareille élection de renfort salutaire,

Au terrestre contour ne se pourrait mieux faire,

Pareille élection faite opportunément,

Contrecarre la Terre en son forcènement,

L’aspect particulier d’Hercule à sa naissance,

Sur les Monstres lui donne une occulte puissance,

Sa haine les poursuit plus ardente beaucoup,

Que du dogue Breton qui terrasse le Loup,

Sa force incomparable égale son courage,

Et la tâche commise en ce pénible ouvrage

Ne le travaille point, ainsi que vieux routier,

Endurci de jeunesse à ce brave métier.

JUPITER.

L’Ambassade géré passe un tour chez Neptune,

Que tu informeras, la querelle commune,

Du péril qui l’irait attaquer imprudent,

Que ses Tritons armez il poise l’accident.

MERCURE.

Tu me vois de retour.

JUPITER.

Une chose te reste,

Précipite ton vol jusqu’au monde funeste,

Avertissant Pluton de veiller de plus près

Les captifs qu’à sa garde on a commis exprès,

Et si l’Erebe tient quelque secours utile,

Ne manque à l’impétrer de sa bonté facile.

MERCURE.

Père j’accomplirai tout ce qui m’est enjoint

Fidèle ambassadeur, sans omettre un seul point.

MOME.

Courage, et ne crains pas, pourvu que tu poursuives

Ces voyages fréquents de gagner les avives,

Demeure encor un peu Jupiter ne veut pas,

Faute d’instruction que tu perdes tes pas,

On te va députer le soin d’une Maîtresse,

Mais garde que Junon la découvre traitresse.

JUPITER.

Misérable oses tu ?

MOME.

Ne pense quereller,

Que tes desseins je n’aille aux Géants révéler.

VÉNUS.

Ah ! ce nom me redouble une fiévreuse crainte,

Me représente aux jeux l’horrible image empreinte

Des Titans retournez Monstres pernicieux,

Qui fuitifs çà et là nous chasseront des Cieux.

MOME.

Du moins permettras tu que Mome se dérobe,

À leur fureur caché sous un plis de ta robe.

JUPITER.

L’ordre mis que pourrait cette affaire espérer,

Ne craignons son issue ores ne prospérera,

Avec peu de labeur ma parole vous donne,

De la proche victoire une verte Couronne,

Chacun s’aille en son Ciel tranquille reposer,

Et au combat de la résolu disposer.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

VULCAN, MERCURE, MARS, PALLAS, BRONTE

 

VULCAN.

Quelle condition misérable si pleine

D’opprobres, de soucis, et d’une ingrate peine,

Pourrait assujettir à ses fers inhumains

Un plus chétif que moi des Dieux, où des humains ?

Qui peut à meilleur droit plaindre son innocence,

Malheureux dès le jour premier de ma naissance,

Un Père trop inique, une Mère soudain

M’expulsèrent du Ciel trébuché par dédain,

Et voulurent venger dessus leur créature

Cette difformité que causait la Nature ;

Depuis bien loin de seoir à la table des Dieux,

Pallas me refusa comme specte odieux,

Alors que je pensai me la conjoindre à femme,

Réduit dessous le joug d’une adultère infâme,

Qui me fausse la foi chaque jour mille fois,

Que tantôt un Chasseur embrasse dans les bois,

Maintenant le Bouvier Phrygien la possède,

Ores un furieux en mon lit me précède,

Un Mars l’ose venir courtiser effronté,

Dans mes lares polus contre ma volonté,

À l’heure justement que les Fourneaux j’allume,

Que le travail repris me penche sur l’enclume,

Que dessous un Marteau sans cesse résonant

Je forge industrieux les armes du Tonant,

Est-ce la Jupiter le salaire me rendre,

Que de souffrir chacun sur ma couche entreprendre ?

Que du nombre infini des foudres que tu perds

Contre ces ravisseurs d’aucun tu ne te sers ?

Cherche, cherche qui plus s’occupe à tel ouvrage,

Où venge justicier le faible qu’on outrage,

Ne pouvant ma prière à pitié t’émouvoir,

En l’Achéron portée elle aura ce pouvoir,

Tu me regretteras, ha ! Mercure s’avance,

Et crains que mes regrets l’infidèle devance,

Pour me faire la fable au peuple Olympien ;

Qui t’amène, hâtif ? parle Cylénien.

MERCURE.

Le sujet inconnu, Jupiter te commande

Tenir des foudres prêts en quantité plus grande,

De matière plus fine et qui pénètrent mieux,

Qu’alors que les Titans attaquèrent les Dieux,

Actif exerce là tes Cyclopes de sorte,

Que parfaite bien tôt la besogne on remporte.

VULCAN.

Mon esprit martelé pense ailleurs qu’à forger.

MERCURE.

Après ce mandement, si n’as tu que songer.

VULCAN.

Jupiter désormais la justice me face,

Où bien mette un Rocher insensible en ma place.

MERCURE.

Tes Caprices crois-moi ne sont pas de saison,

Vu le trouble qui tient la Céleste maison.

VULCAN.

Soit que ce soit Vulcan coupable ne l’excite.

MERCURE.

Mais le commun péril à ton devoir t’incite.

VULCAN.

Déclare le motif que l’on s’avise après.

MERCURE.

L’Oracle souverain me le défend exprès,

Outre que mon loisir impugne ta demande.

VULCAN.

Me voilà pas toujours le mépris de la bande,

Qui d’affaires sait moins que le moindre mortel,

À qui tout l’Univers donne à peine un Autel,

Bien que notre industrie égale nécessaire,

L’intolérable orgueil d’une troupe adversaire,

Dure condition qui du ressouvenir :

Bergues ho ! là dedans ne veut on pas venir ?

BRONTE.

Lequel demandes-tu ?

VULCAN.

N’importe, va de braise

Jusques à la moitié me remplir ma fournaise,

Nos outils à forger tenus prêts sous la main.

BRONTE.

Bien, Père tu seras obéi tout soudain.

MERCURE.

Ta belle humeur me plaît à point nommé reprise.

VULCAN.

Trop facile, trop bonne, et simple on la méprise :

Mais quoi sa patience un jour échappera,

Un jour qui la déçoit plus fine trompera.

MERCURE.

Tu m’excepte non pas ? connaissant que Mercure,

En véritable ami toujours ton mieux procure.

VULCAN.

Charlatan tu m’es plus qu’aucun autre suspect.

MERCURE.

Onc je ne te manquai toutefois de respect.

VULCAN.

Non lors que tu voulus abuser de ma peine.

MERCURE.

Premier que le travail te mette hors d’haleine,

Que tu ne puisses plus te distraire empêché ;

Où le fil de ce glaive apparaît rebouché,

Donne lui je te prie un tour dessus la meule,

Que s’il n’en est besoin la polissure seule.

VULCAN.

Tel subit appareil présuppose un dessein,

Qui me coule perplexe la peur dedans le sein.

MERCURE.

Tu sauras assez tôt sa frivole origine,

Dépêche qu’au retour léger je m’achemine.

VULCAN.

J’aiguisai les Ciseaux qui coupent le Destin ;

Encore pourrais-tu Atlantide nous dire

Pourquoi veut Jupiter tant de traits de son ire.

MERCURE.

Quelque révolte craint se murmure là haut,

Le surplus enquérir illicite ne faut.

VULCAN.

Ce peu suffit, ce peu présage que la Terre

Animeuse médite une nouvelle guerre,

Que rouge de fureur on voit journellement

Tracasser çà et là perpétuellement.

MERCURE.

Tu ne t’abuses pas, silence, bouche close,

Si tu veux discourir prends sujet d’autre chose.

VULCAN.

Ma curiosité ne passe plus avant,

Vice que chacun sait me tenir peu souvent,

Qu’exerce déplorable une peine infinie,

Qui m’astreint volontaire à une tyrannie,

Tu auras vu premier que de venir ici,

Ma Cyprine là-haut.

MERCURE.

Mars y était aussi.

VULCAN.

Évidente malice, évidente et cruelle !

Que réponds-tu de Mars où l’on t’informe d’elle ?

MERCURE.

À cause que tous deux se connaissent amis,

Et que les séparer ne me semble permis.

VULCAN.

Ne me brocarde plus langue pestiférée,

La vengeance du tort ne serait différée.

MERCURE.

Cas étrange de croire un scrupule ombrageux,

Qui te fera Vulcan perdre trop courageux !

VULCAN.

Tien, ôte toi d’ici, ta présence me fâche.

MERCURE.

Travaille à ce qui t’est enchargé, sans relâche.

VULCAN.

Acquitte ton office, et me laisse le mien.

MERCURE.

Ne crains que là dessus Mercure attente rien,

Sinon qu’heureux en femme imagine ta vie

Plus digne mille fois de pitié que d’envie,

À Dieu jaloux.

VULCAN.

Bâtard, effronté maquereau,

Si j’osais pour te suivre éloigner le Fourneau,

Ta fiance poltronne en tes ailes consiste,

Et que boiteux ma jambe au courage résiste ;

Voilà donc le payement de t’avoir émoulu

Ton armure plutôt que tu ne l’as voulu,

Voilà que mes travaux moissonnent d’ordinaire,

Voilà ce qu’aux ingrats profite de bien faire,

Voilà comme opprimé dessous ces inhumains :

Si repasseras-tu quelque jour par mes mains,

De sorte châtié quoi qu’après en advienne ;

Ha ! quelqu’une semblable à la Tritonienne,

S’achemine, c’est elle, et mon âme ressent

De la première flamme un brandon renaissant :

Va courtois l’accueillir, et nettoie la crasse

Qu’une sueur poudreuse a colée à ta face,

Possible, nullement, son véritable aspect

Emporte le dessein de ne sais quel respect.

PALLAS.

Bien qu’à mon grand regret l’heure fort mal choisie

On te trouve empêché, fais-moi la courtoisie

De donner à ce fer une pointe soudain,

Qui mérite Pallas, et sorte de ta main.

VULCAN.

Vierge l’honneur du Ciel sa belliqueuse gloire,

À ta dévotion toujours tu me peux croire,

Toujours esclave prêts d’obéir à ta voix,

Que rendre heureux jadis moins fière tu pouvais,

Montre, cela vaut fait.

PALLAS.

Tu as tort de te plaindre,

Connaissant que mon vœu ne se saurait enfreindre,

Outre que tu gagnas au change une beauté.

VULCAN.

Ah ! tu me fais mourir pire de cruauté,

PALLAS.

La raison ?

VULCAN.

Tu le sais trop bien à la mal-heure.

PALLAS.

Il faut que de son sort chacun content demeure.

VULCAN.

Non pas moi qui ne puis plus vivre en la façon.

PALLAS.

Beaucoup se font aussi malheureux par soupçon.

VULCAN.

Appelles-tu soupçon alors que le coupable

Nous donne à manier la vérité palpable ?

Les crimes avérés d’un million de témoins,

Regarde, est elle bien, la veux tu plus où moins ?

PALLAS.

Non du tout à mon gré, mille mercis, avise,

À te servir de moi pour tant de peine prise,

Adieu Vulcan.

VULCAN.

Mauvaise adieu, n’épargne pas

Un qui voudrait baiser la trace de tes pas,

Substituée au lieu, souhait sans apparence ;

Mais j’aperçois venir superbe d’assurance

Mon rival adultère, Ô que si la terreur

De ce Dieu carnassier n’empêchait ma fureur !

MARS.

Boiteux fais vitement ce que plus nécessaire,

Mon Épieu visité tu jugeras à faire ;

Une nouvelle trempe ajouter conviendrait,

Qui le tranchant après ramolli ne craindrait,

Tu rechignes en vain ta trogne malcontente,

Mon loisir ne permet non pas la moindre attente.

VULCAN.

Tout l’ouvrage me vient accabler à la fois,

Et servi, que de reste on t’en doive tu crois.

MARS.

Le service requis Jupiter te le mande

Et de te commander mon grade me commande.

VULCAN.

Mon grade ne s’estime inferieur au tien.

MARS.

Muet dépêche-toi, tu ne feras que bien.

VULCAN.

Cent bras insuffisants n’y peuvent satisfaire,

À toute heure opprimé d’affaire sur affaire.

MARS.

Te souvienne qu’on va t’apprêter du repos,

Ou n’ajoute de foi jamais à nos propos.

VULCAN.

Bronte accommode lui.

MARS.

N’emprunte que toi même,

L’importance le veut extrêmement extrême.

VULCAN.

Or sus donne, voyons que j’avise à sortir

Des mains d’un téméraire et à m’en garantir.

MARS.

Mars téméraire donc ? tu abuses infâme

De l’antique amitié que l’on porte à ta femme.

VULCAN.

Fussiez-vous, ô quel heur ! ensemble chez Pluton,

L’éternel passetemps des rages d’Alecton.

MARS.

Avec elle l’Enfer un beau Ciel me ressemble,

Tant de conformité nos courages assemble.

VULAN.

Jupiter le saura supplié derechef,

Que si pareil affront n’éclate sur ton chef,

S’il refuse à ma plainte une brève justice,

D’autres que moi feront ce mécanique office,

Tiens malheureux ton arme.

MARS.

Afin de t’apaiser,

En ta faveur je vais ta Cyprine baiser.

VULCAN.

Ô honte ! Ô désespoir qui déchire mon âme !

Tandis qu’enveloppé de charbons et de flamme,

Tu te tues chétif à servir ces ingrats,

Un suborneur étreint ton épouse en ses bras,

Qui pis, s’ose vanter de l’outrage à ta face,

Au cas que Jupiter la vengeance ne face,

Ces foudres achevés je proteste quitter

L’Ætneane demeure, et l’Averne habiter.

 

 

Scène II

 

JUPITER, HERCULE, MOME, MARS, PALLAS, MERCURE, LES PARQUES

 

JUPITER.

Tu sois le bien venu vif portrait magnanime,

Que parmi les mortels ta vertu légitime,

À qui mandé le Ciel défère même honneur,

Rends-toi donc désormais capable du bonheur,

Fais qu’à l’espoir commun ta vaillance réponde,

Dedans l’Olympe tel que tu parus au monde,

Le fléau punisseur des fiers Terre-nés,

Qui veulent m’arracher le Sceptre mutinés,

Sujet plus glorieux, plus illustre, plus digne,

Ne pouvait avenir que ce combat insigne,

Où l’épreuve donnée aujourd’hui te fait fort,

D’être au nombre de ceux que redoute la mort,

Qui goûtent avec moi le Nectar, l’Ambrosie,

Qu’une odeur de victime agréable choisie

Pénètre jusqu’ici, bref qui dois espérer

Te voir également des humains honorer.

HERCULE.

Prince et Père des Dieux, ma dextre ne demande,

Que l’accomplissement de ta juste demande,

Que la preuve donnée à semblable secours,

Aussi propre aux effets, que rude en mes discours ;

Au cas que le courage intimidé recule,

Du séjour Olympique expulse ton Hercule,

Enfant dégénéreux, qu’un coup de foudre tors

Me confine là bas vaine ombre avec les Morts.

MOME.

Tu es mon homme à qui la vantise n’échappe,

Et pareil au Mâtin, qui mord plus qu’il ne jappe ;

Toutefois Jupiter je t’apprends que gourmand

Tu ne le verras onc à la table dormant,

Que d’heure tu peux bien te pourvoir d’Ambrosie.

Si tu veux que sa faim gloutonne on rassasie.

MARS.

Ta langue à la parfin te portera malheur.

MOME.

Mais lui va t’emporter le prix de la valeur.

MARS.

Premier que cela fût, la Terre conjurée.

Nous déposséderait de la Voute azurée,

Ainsi que l’Univers ne connaît qu’un Soleil.

JUPITER.

Tu seras compagnon de folie et pareil,

Prenant garde à ces mots lâchés à la volée,

Qu’endure mainte fois ma grandeur contrôlée,

Plus sage contiens-toi sous le frein du devoir,

Vous n’avez où je suis l’un sur l’autre que voir,

Chacun face à l’envi le dû de son office,

Sans que l’ambition la discorde nourrisse.

PALLAS.

Où son feu périlleux trouve l’accès permis,

Onc à perfection bel exploit ne fût mis.

JUPITER.

Là gît le principal, que ce zèle unanime,

Contre les ennemis indomptés vous anime,

Qu’après ce beau chef d’œuvre, ô suprême renfort

La troupe vient à nous qui dispose du sort.

MERCURE.

Ton frère préférant l’amitié fraternelle

À sa propre assurance et Parques éternelle,

Te le prête secours, capable de tenir

Sous ta subjection les périls à venir.

CLOTHON.

Père tu le peux croire, autre sujet n’amène

Notre troupe vers toi d’humble piété pleine,

Troupe qui te prédit les Géants déconfits,

Troupe qui sait le terme à leurs Destins préfix,

Qui te plège la Terre orpheline soumise,

À demander pardon de l’offense commise,

Que ta clémence accorde, assuré désormais

Telles rebellions s’éteindre pour jamais.

JUPITER.

Ô douce prophétie ! Ô Vierges favorables !

Que l’Olympe vous doit de grâces mémorables ?

Sa dextre, son appui, son ancre, son rempart,

Je proteste le Styx n’oublier de ma part,

Un signalé bienfait qui tout autre surpasse ;

Or chacun du combat vienne prendre sa place,

Non combat, mais plutôt Céleste passetemps,

Qui fera ces mutins compagnons des Titans.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

LA TERRE, BRIARÉE, TIPHŒÉ, TROUPE DE GÉANTS

 

LA TERRE.

Invincibles enfants d’une Mère féconde,

La fortune nos vœux à cette heure seconde,

Voyez le Ciel trembler de crainte regardant

Ce tripe Mont anté sa hauteur excédant,

Voyez que l’ennemi troupe lâche et couarde,

Aucune résistance encore ne hasarde :

On le brave, on l’assiège, on l’approche si près,

Qu’un défi ne se peut signaler plus exprès,

Sans voir qui valeureux vous ose faire tête,

Plus craintifs que Pigeons surpris de la tempête,

Plus craintifs que le Cerf investi dans son fort,

Qui voit de toutes parts une image de mort,

Ce superbe appareil jusqu’en l’âme l’étonne,

Ne l’homicide Mars, ne l’Archer de Latone,

Non plus que ce bâtard parmi la foudre né,

N’escarmouchent le champ de bataille donné,

Signe victorieux, avant-coureur présage,

Que n’en reconnaîtrez aucun par le visage,

Que plus vîtes à fuir que légers Aquilons,

Vous n’en verrez sinon le dos et les talons,

Possible que sait on ? la canaille timide,

Fuitive aura déjà laissé le Trône vide,

Où tout environnés des Astres radieux,

L’Olympique séjour vous attend nouveaux Dieux,

Ah ! quel aise, ah ! quel heur de voir ma géniture

Souveraine donner les lois à la Nature !

Mon époux libéré de l’opprobre des fers,

Maintenant les moyens si faciles offerts,

Qu’on regagne hardis le céleste héritage,

Qu’on remette l’Erebe et les eaux en partage,

L’ordre mis entre vous que requiert le combat,

Auquel j’assisterai par manière d’ébat.

BRIARÉE.

Trouverais tu pas bon avant la force ouverte,

Que j’allasse premier faire une découverte ?

Connaître sur les lieux l’état des ennemis,

Si sur la défensive ores ils se sont mis,

Où si la peur les jette en fuite pêle-mêle,

Que de cent de nos dards une orageuse grêle

Termine ce labeur, les defface du tout,

Sans d’autres empêcher j’en puis venir à bout.

TIPH΃.

La pointe à ma valeur capable concédée,

Telle charge d’aucun ne sera possédée,

Plutôt qu’on me ravit ce droit de primauté,

Que ma gloire souffrit une déloyauté,

Mes forces soutiendront la fraternelle bande,

L’honneur plus que l’Empire espéré me commande,

Acquis que l’on m’en face après la moindre part,

Mais le titre de chef ailleurs ne se départ.

ALCIONÉE.

Quel titre objectes-tu ? dessous quelle assurance

T’oserais-tu briguer pareille préférence ?

Mon suffrage reçu ne l’autorise point,

Sache que moins que toi la gloire ne m’époint,

Que la même valeur, et que la même envie

Me coûteront plutôt l’usufruit de la vie,

Qu’aucun coure premier en la lice à présent,

Ma Mère tu connais si je suis suffisant.

LA TERRE.

Factieux n’allumez ces contentions vaines,

Qui de vous ne présume autant de Capitaines ?

Chacun égal, chacun digne que son pouvoir

Autre supérieur ne veuille recevoir :

Toutefois diviser cette grande force unie,

Rompre de vos désirs fraternels l’harmonie,

Indubitablement ruine ce dessein ;

Plutôt que telle Érine embrase votre sein,

Que l’exploit glorieux avorte à sa naissance,

À faute de concorde, et non pas de puissance,

Mes fils amortissez dessus moi ce courroux :

Faites de votre Mère une bute à vos coups,

Elle tolèrera pareille destinée,

Mieux que de ces enfants la rancune obstinée,

Ô la honte ! ô l’opprobre ! ô que lors à bon droit,

L’ennemi du discord épris se prévaudrait !

Mon espoir, mes projets convertis en fumée,

Déplorable butin de sa rage animée

Ah ! chère géniture, ôte ce diffèrent

Selon que tu verras les grades conférant.

BRIARÉE.

Toi-même règle nous sage d’expérience,

Neutre qui le pourrait mieux faire en conscience ?

Au tien plus absolu mon vouloir se soumet,

Bref toute autorité de justice remet.

TIPH΃.

Oui, ma Mère tu dois disposer souveraine

Des actions de ceux dont l’humeur trop hautaine

Désire un contrepoids égal à maintenir

L’ordre sans qui ne peut que malheur avenir :

Prononce hardiment ce décret salutaire,

Qui oblige les tiens d’obéir et se taire.

ALCIONÉE.

Mon courage ne craint de n’avoir balancé,

Qui marche après sa gloire en l’estour commencé,

Ne diffère plus rien bonne Mère, partage

Les grades à monter au Célestes héritage.

LA TERRE.

Puisque l’égalité vous doit mettre d’accord,

Faites de front ensemble une charge d’abord,

Encelade conjoint ma quatrième espérance,

À ses frères pareil de force et d’assurance ;

Ainsi qu’un tourbillon traverse furieux,

Qu’on emporte d’assaut le Ciel, victorieux,

Qu’on brise, qu’on terrasse unis de violence,

Que mille dards à coup réveillent le silence

De ces Dieux que la peur assoupit endormis,

Qu’on trébuche aux enfers les communs ennemis,

Tel rude chamaillis, stratagème notable,

Par le nombre augmenté devient plus redoutable,

Quatre fleuves en un mutuels de secours,

N’appréhendent qu’aucun divertisse leur cours,

Pareils l’Olympe n’a résistance opposée,

Qui puisse a votre effort servir que de risée,

Encore soutenus, au besoin secondés

De ces moindres soldats à qui vous commandez :

Or le séjour nuisible achevons l’entreprise,

L’occasion fuirait, qui chauve n’est reprise.

BRIARÉE.

Périsse malheureux quiconque veut couard,

Tant soit peu du combat différer le hasard,

Quiconque à ton vouloir docile ne se range,

Quiconque ne me suit affamé de louange ;

Allons race guerrière employer nos apprêts,

Et le discours laissé joindre ces Dieux de près.

TIPH΃.

La canaille déjà fuitive, épouvantée,

Au combat n’attendra cette flotte indomptée,

Seul souci qui me tient, seul regret de n’avoir

Où montrer à l’envi son belliqueux pouvoir ;

Toutefois on verra l’expérience faite,

Et ne faut obtenir la victoire imparfaite,

Eux captifs attrapez jusqu’à un mis aux fers,

Jusques à un reclus dans le creux des Enfers.

 

 

Scène II

 

JUPITER, MARS, HERCULE, APOLLON, PALLAS, BACCHUS, MERCURE, BRIARÉE, TIPHŒÉ, ALCIONÉE, LA TERRE, TROUPE DE GÉANTS, JUNON, PORPHIRION

 

JUPITER.

L’heure approche Immortels, l’heure bien fortunée,

À la douce moisson d’une palme ordonnée,

Qui toujours verdoyante en sa gloire produit

D’une éternelle paix le délectable fruit,

Ce labeur sans labeur fertile nous assure

Pour les siècles futurs une puissance sûre,

La Terre n’ose plus jamais se révolter,

Jamais contre le Ciel de Monstres avorter,

Semblable châtiment l’apprivoise farouche,

On lui donne le mors capable dans la bouche,

Sans plus à mon exemple avides combattants,

Donnez-vous le loisir d’un guerrier passetemps,

Donnez-vous le loisir d’écarter cet orage

De rompre les bouillons de leur aveugle rage,

Pareille aux flots marins qui menacent le bord,

Mais dont l’orgueil se crève à un premier abord ;

L’ordre que l’on tiendra, le voici chère bande :

Chef à la tête ainsi que ma charge commande,

Du plutôt coup à coup que nos foudres lâchés

Auront les plus mauvais des Géants trébuchés,

Pallas, Alcide, et Mars succèdent en la place,

(Relâche d’un moment qui ma dextre délasse)

Vous autres trois après d’arrière-garde mis,

Ne fondants qu’au besoin dessus les ennemis,

Pilote vous m’avez prêt à toute occurrence,

Si la difficulté trompe notre espérance,

Si la bataille dure à sa gloire survend,

Chose ès désespérés qui arrive souvent.

MARS.

Ta suprême grandeur se profane avilie

Vers ces Monstres issus d’une fangeuse lie

Père tiens mieux ton rang, épargne ton pouvoir

En sujet qui mérite à courroux l’émouvoir,

Moi seul que l’Univers indomptable redoute,

Mettrai des Terre-nés le camp a vau de route,

Moi seul dissiperai leur téméraire effort,

Qui ne demande point ne second, ne renfort.

HERCULE.

L’épreuve me convient de ce premier service,

Que l’Olympe répute aux alarmes novice,

Reçois Saturnien l’offre de ma valeur,

Fais son premier essai l’opposant à la leur,

Que du moins avec eux j’attaque l’escarmouche,

Mille à coup écrasés sous ma noueuse souche.

APOLLON.

Un exploit qui m’acquit le nom de Pythien,

Prouve que la victoire en ma dextre je tiens,

Appris à décocher depuis l’heure première,

Que le jour sombre alors me prêta sa lumière,

Ô vergogneuse attente ! on dût, on dût aller.

PALLAS.

Plus sage seulement avise à mieux parler :

Entreprendre indiscret dessus son Capitaine,

Ne part que d’un excès de présomption vaine,

Ne diffère que peu du révolte mutin,

Laissons notre conduite aux Vierges du Destin.

BACCHUS.

Leur mandement reçu mon courage s’apprête,

Comme un brave Limier lâché dessus la bête,

À rendre le combat, à rendre le devoir,

Mercure nous fera des nouvelles savoir.

MERCURE.

Apporte Jupiter la prompte résistance,

Ou cherche un autre Ciel avec autre assistance,

Les Parques désormais lasses de soutenir,

Au secours, et soudain te conjurent venir,

Ces Géants élevés sur leur triple Machine,

Commencent à forcer notre porte aimantine,

Armés de feux, de traits, d’arbres, et de cailloux ;

Ô stupides, hé ! quoi ne les entendez vous,

Qui de leur bruit confus surpassent le tonnerre,

Sous qui le Pole tremble et resonne la Terre ?

Arme, arme, que chacun s’efforce valeureux,

Sur peine de se voir esclave malheureux.

JUPITER.

Sans trouble, sans effroi, qu’en bon ordre on me suive,

Que nos foudres lancés la victoire on poursuive,

Foudres qui les sauront réprimer éperdus,

Foudres plutôt sentis mille fois qu’entendus,

Vien me les tendre prêts mon fidèle Mercure,

Ô Vénérable Styx derechef je te jure,

Qu’un seul ne restera de ce nombre maudit,

Que veut perdre la Mère impieuse à crédit.

Combat.

ALCIONÉE, transpercé d’un coup de flèche par Hercule.

Courage, saisissons la première avenue,

À travers de ces feux éclatés de la nue,

Ô désastre ! une flèche en trahison m’atteint,

Me trébuche du Ciel, et sa lampe m’éteint !

JUNON, pressée par Porphirion.

Jupiter au secours, un sacrilège infâme

S’adresse violent à l’honneur de ta femme.

PORPHIRION.

Ta vaine résistance augmente mon ardeur.

JUPITER, parlant à Hercule.

Tire mon fils, Ô coup adextre et de grand heur !

Le notre achèvera de le réduire en cendre,

Il va ce ravisseur dedans l’Orque descendre.

LA TERRE.

Poursuivez courageux, l’épouvante les tient,

À un léger effort la victoire appartient,

Mes fils plutôt mourir que rebrousser arrière,

Que venus au milieu, n’affranchir la carrière,

Que ne vaincre du tout : ô trop inique sort !

Briarée bronchant mon principal support,

Las ! hélas désormais ce dessein fait naufrage.

BRIARÉE, atteint du foudre.

Ma Mère apaise moi la douleur d’une rage,

Que ce feu déloyal m’allume dans les os,

Ou en ton large sein me trouve du repos,

Me coupe ces cent bras inutiles aux armes,

Ah ! qui pensait avoir à combattre des charmes ?

ALCIONÉE, aussi atteint.

Secours, verse marâtre un fleuve sur ce corps,

Qui brûle misérable et dedans et dehors,

Marâtre d’envoyer ta race magnanime,

À la Parque certaine infernale victime :

Couvre Terre ma honte, ou fini le tourment

De l’invisible feu qui me ronge gourmand.

LA TERRE.

Ô suprême désastre ! hélas mon Encelade

Tombe dernier surpris de la même embuscade,

Mimante l’a suivi et nul des miens là haut

N’ose plus que de loin continuer l’assaut,

Ne pense intimidé sinon de sa retraite,

Bref mon œil ne voit moins qu’une entière défaite,

Les chefs occis que doit le surplus espérer ?

Commence pauvre Mère à te défigurer,

Arrache à pleines mains ta perruque chenue,

Défie l’inhumain qui tonne dans la nue :

Inique ravisseur du droit de mon époux,

Épuise dessus moi ton forcené courroux,

Embrase inexorable, extermine la Terre

Sur qui tu te prévaux d’un perfide tonnerre ;

Aussi bien prolongeant la trame de mes jours,

Ce sein renourrira même ennemi toujours,

Tu régneras en peur parmi l’incertitude,

Règne qui te sera pis qu’une servitude,

Et ne présume pas que les siècles suivants

À ton occasion je souffre les vivants,

Stérile devenue, ains marâtre commune,

J’épancherai sur eux le fiel de ma rancune,

Mes présents nourriciers leurs deviendront mortels,

Afin qu’aucun ne puisse honorer tes Autels.

 

 

ACTE V

 

JUPITER, CLOTON, HERCULE, MARS, PALLAS, MOME, JUNON, MERCURE, VÉNUS, APOLLON, HÉBÉ

 

JUPITER.

Paisibles libérés de soucis et de crainte,

Chère troupe compagne aussi belle que sainte,

La fidélité même et la même valeur,

À qui jamais péril ne change la couleur,

Un devoir maintenant équitable commande,

Qu’à tous selon le poids du mérite je rende :

Que ma louange à tous divise le Laurier,

Non d’un exploit, mais bien d’un miracle guerrier,

Onc au révolte épris de Titans cet Empire

Ne courut attaqué une fortune pire,

Onc secours ne saurait de Monarque obliger,

Qui vit plus que j’ai fait son état en danger ;

Mais vous à qui la gloire inspire le courage,

Presque plutôt qu’émeu me dissipez l’orage,

Ce travail départi me rend à moins de rien

Tranquille possesseur du Trône Olympien,

Vous autres, nommément pucelles Erebiques,

Qui tournés le malheur sur les œuvres iniques,

Jupiter pourrait tout ce qui se peut penser,

Un semblable plaisir pouvant récompenser.

CLOTHON.

« La vertu n’a que soi de plus riche salaire,

Or comme le Soleil d’autre feu ne s’éclaire,

Nous ne pouvons envers le souverain Moteur

Mériter d’aucun bien, vu qu’il en est l’auteur,

Vu que la piété, que la charge commise

Les Parques obligeait à pareille entremise :

Vit Père en bon repos, obéi désormais

Que révolte où discord ne l’altère jamais,

Que sous ton Règne heureux d’éternelle durée,

Puissent florir Thémis et sa compagne Astrée,

L’office que tu sais nous remmène là-bas

Annoncer à Pluton l’honneur de tes combats,

Annoncer à Pluton que la tourbe punie

Des fiers Terre-nés a sa crainte finie,

Nouvelle qui retient en bride ses esprits,

Ja presque du désir de tel révolte pris.

JUPITER.

Assurez mon Germain qu’en l’amitié parue,

Notre Céleste Cour au besoin secourue,

Son service lui voue, ou pareil accident

(Ce qui advienne pas) le prendrait imprudent.

CLOTHON.

Tu seras obéi de courage et de zèle,

Sus mes sœurs repassons en la nuit éternelle.

JUPITER.

Tandis que le festin se prépare, venez

Tous le chef du Rameau Phœbean couronnés,

Que chacun l’allégresse en l’âme m’environne,

Et selon sa vertu la louange moissonne,

Discourons du combat, ainsi les Matelots,

 Que l’art a garantis de l’orage des flots,

S’entredisent joyeux la diverse industrie,

Qui les remet au sein de leur chère patrie :

Sans doute que chacun mérite recevoir

Mon témoignage exprès sur ce brave devoir ;

Mais pourquoi susciter entre vous quelque envie ?

D’égale piété cette troupe ravie

Mérite égal honneur, mérite justement

Participer heureuse à mon contentement,

Mérite après la notre une gloire seconde,

Mérite après la notre une gloire féconde,

De victimes, de vœux, de parfums et d’Autels,

Outre les sacrés droits de ma table immortels,

Approche mon Thébain, viens belliqueuse race,

Digne de Jupiter, que ton Père t’embrasse,

Ton redoutable effort belle épreuve à mes yeux,

S’obtient la primauté d’un heur victorieux.

HERCULE.

Ta présence divine a sur nous épandue

La force outre sa force invincible rendue,

Et me semblait suffire à ces Monstres défaits

Plus affreux de regard, qu’effroyables d’effets,

Puis la confusion par leur troupe reçue,

Ne pouvait enfanter qu’une honteuse issue.

MARS.

Entre ce nombre épois d’ennemis opposés,

Ma dextre dédaignant les Lauriers plus aisés,

Se vante d’avoir mis à mort leur espérance,

Énorme de stature, énorme d’assurance,

Qui ton foudre aperçu (toi même en es témoin)

Voulait à corps perdu te le ravir au poing.

PALLAS.

Le devoir me défend de servir indiscrète

À mes propres exploits d’odieuse Trompette,

Suffit que ce mauvais qui l’Olympe échelait,

Qui d’horrible hauteur les Astres égalait,

Atteint d’un coup de pique à travers la poitrine,

Sait que Pallas ne nuit à la troupe divine.

BACCHUS.

M’estime qui voudra pendant l’orage épris,

Autre plus valeureux n’a disputé le prix,

Autre qui craignît moins la fortune des armes,

À la Terre aujourd’hui n’a plus causé de larmes,

Plus rompu les efforts de ses fils malheureux,

Où il en est besoin que trop aventureux.

MOME.

Ma prouesse sur tout apparaît signalée,

En ce qu’aucun ne m’a vu fuir en la mêlée,

Que ceux que mon courage a peu heurter alors,

S’entend de l’ennemi, sont bien blessés ou morts,

Si le vouloir suffit et l’effet représente,

Tu n’auras Jupiter de Palme suffisante.

JUNON.

Ô Cieux ! quelle fortune a couru mon honneur,

De ce Monstre attaqué violent suborneur !

Le simple souvenir me pâme épouvantée.

MOME.

Confesse Jupiter toute feintise ôtée,

Quoncques tu n’approchas les cornes de si près :

Et que fort bien t’a pris de te trouver auprès.

JUPITER.

Celui t’a prévenu la notable infamie,

Que ta haine voulut de marâtre ennemie

Perdre cent mille fois, ce Thébain mon support,

L’outrageux ravisseur a puni de la mort ;

Pourras-tu désormais vers lui n’être apaisée,

La place à sa vertu dans le Ciel refusée ?

Pourras-tu ne l’aimer d’un acte si clément,

Sans qui tu succombais à ce violement ?

JUNON.

Non certes, le bien fait excède ma puissance,

Ma jalousie à tort foula son innocence,

Reconnu quant à nous digne Bourgeois des Cieux,

Un salaire sans plus me reste précieux :

Hébé Vierge, beauté qui me doit un tel gendre,

S’il te plaît Jupiter le faire condescendre.

JUPITER.

Tu ne saurais mon fils meilleur parti choisir,

Ores qu’un siècle entier t’en donnât le loisir ;

Déesse Présidente à la Jeunesse, pense

Que tes travaux auront égale récompense,

Qu’aucune Déité ne se prévaut sur toi,

Ains n’approche ton heur en la jugale loi.

HERCULE.

Père ta volonté possède mon courage,

Sous ton auspice saint achevons cet ouvrage,

Qui me réconcilie à la grande Junon,

Et outre son appui m’éternise de nom.

JUPITER.

Va la faire venir aimable Cythérée,

De nuptiaux habits pompeusement parée,

Jaçoit que sa beauté, miracle nonpareil,

À captiver un cœur ne veuille autre appareil.

MOME.

Une belle maîtresse, et une bonne table,

Se nomme en deux façons avantage notable,

Le logis des meilleurs, que demanderais-tu,

Qui se pût ajouter salaire à ta vertu ?

J’oubliai de plaisir que Mome te réserve

Pourvu qu’en amitié ta douceur le conserve,

Que tu ne sois ainsi que ce Mars querelleux,

L’antipathie alors cruelle entre nous deux,

Or sus réjoui toi de ta bonne aventure,

Et contemple venir ton épouse future.

HERCULE.

Alcide ne vit onc de prodige si beau,

L’autre monde quittant il sortit du tombeau :

Que de chastes attraits ! que de modeste grâce !

Un Roc s’animerait, un marbre, ou une glace.

MOME.

Bon courage, voilà notre rustre en humeur,

Non sans raison si prêt de cueillir ce fruit meurt.

JUNON.

Vois ma fille un époux que Jupiter te donne,

Un la gloire des Dieux, l’appui de sa Couronne,

Un que je te commande aimer fidèlement,

Honorer et chérir perpétuellement,

Faveurs en son endroit mutuelles trouvées,

Faveurs en son endroit communes éprouvées,

Qui n’oubliera jamais un devoir d’amitié.

À son âme demie, à sa douce moitié.

HÉBÉ.

Tu sais Reine des Dieux, que mon obéissance

Humble ne peut sortir du joug de ta puissance,

Et ne reconnaîtras que le même devoir

Envers l’époux duquel tu me daignes pourvoir.

HERCULE.

Déesse qui ravis les âmes par la vue,

De ma félicité claire Aurore impourvue,

Sois sûre qu’un esclave asservi désormais,

D’amour ni de respect ne te manque jamais.

MOME.

Voilà clore un marché selon ma fantaisie,

Qui ne puis n’admirer l’étrange courtoisie

De ce lourdaud d’Hercule, ah ! folâtre Cypris

Ta race opère là qui le rustre tient pris.

MERCURE.

Père le festin prêt n’attend que ta venue,

On a mis le couvert.

MOME.

Achève, continue,

Ta nouvelle m’agrée, Ô gentil Messager !

JUPITER.

Chacun vienne en sa place et d’ordre s’arranger,

Junon tu feras seoir ton gendre et sa Charité,

Où l’Hyménée un lieu d’éminence mérite,

Donne, verse de l’eau Ganymède soudain,

Encor, encor un peu dessus cet’ autre main.

JUNON.

Vis à vis opposé tu pourras a ton aise

Détremper de regards une amoureuse braise,

Heureux trois fois heureux en ce principal point,

Que ta moisson s’approche, et ne languiras point.

JUPITER.

Apporte-moi premier la coupe toute pleine,

Qu’après j’entends chacun épuiser d’une haleine,

Couronne-la de fleurs, dépêche Phrygien,

Que de délicieux on ne m’omette rien :

Sus Célestes plegez Jupiter qui va boire,

Et ce Nectar consacre au Père de victoire,

Fais la ronde, que tous succèdent à leur tour,

Peut-on trop célébrer ce glorieux retour ?

MOME.

Non, Ganymède à moi, tend la coupe, ne prive

Mome le valeureux de sa prérogative,

Tu te moques je crois pendard efféminé.

Rogue d’avoir le droit de Junon butiné.

JUPITER.

Qu’on le chasse d’ici la langue de vipère.

MOME.

Tantôt j’aime mieux boire et ne rien dire Père.

HERCULE.

Dessous ton bon plaisir j’oserai saluer.

MOME.

Pousse, courage, il n’est que de s’évertuer.

HERCULE.

Les grâces de ma belle au nom de l’Hyménée,

Sa nouvelle amitié quoi que passionnée,

Ne l’empêche de boire, et me confessez tous,

Qu’il fait ici meilleur qu’en la presse des coups.

MARS.

Oui pour ceux dont la table est la volupté seule,

Et qui ont comme toi le courage à la gueule.

JUPITER.

Mome, où te tenais tu caché durant l’ébat.

MOME.

Avec la Cytheride en merveilleux débat,

JUPITER.

Sur quoi ?

MOME.

Tu le sauras, demi morte de crainte,

Serre, lui ai-je dit, d’une amoureuse étreinte

Mome ton bon ami qui t’offre le couvert,

Qui te garantira si la bataille on perd,

Mais pour n’être tant beau ma prière inutile.

VÉNUS.

Père que de l’Olympe ou ce traître on exile.

JUPITER.

Que veux-tu ? ce frelon Jupiter n’épargnant,

T’oblige d’endurer son aiguillon poignant ;

Mais un muet silence obscurcit notre joie.

MOME.

À cause que chacun des mâchoires s’emploie.

JUPITER.

Recomble de Nectar mon hanap l’apportant,

Quiconque m’aimera de suite en face autant.

MOME.

Mon zèle te va rendre une preuve notoire,

Que nul d’eux ne m’égale en matière de boire.

Après que les Dieux ont bu.

JUPITER.

Telle action me plaît qui témoigne le cœur,

Désormais Apollon donne à ce sacré Chœur

Quelque accord que ta voix à la Lyre marie,

Que sa douceur aux traits de l’Archer apparie.

APOLLON.

Le silence obtenu Père, tu as après

Un beau chant de victoire en ton honneur exprès.

JUPITER.

Que chacun attentif à cette heure l’écoute.

MOME.

De la pence la dance il n’y a point de doute,

Ma disposition te requiert que du moins

Elle paroisse aux yeux de tant de bons témoins ?

JUPITER.

Ne te travaille pas, nous la tenons pour vue,

D’extrême agilité nous la tenons pourvue,

Paix, ne t’ingère plus de parler importun.

MOME.

Parler sans dire mot, sera-ce pas tout un ?

APOLLON, chantant.

Troupe compagne au Dieu suprême,
Dessus qui ne peut le trépas,
Suis ma voix, et d’un zèle même
Maintenant ne t’épargne pas
À chanter la belle victoire,
Du grand Jupiter ton recours,
Qui pour te conserver sa gloire
Ne veut que son bras de secours.

Contre lui la Terre mutine
S’élève factieuse en vain,
Contre sa présence divine,
L’orgueil du frêle genre humain
Ressemble au nuage qui passe,
Ressemble à l’ombre d’une nuit,
Qui disparaît lors que ma face
Sur celles des hauts Monts reluit.

Équitable arbitre du monde,
Souverain Monarque des Rois,
Que le Ciel, que la Terre, et l’Onde
Tremblent craintifs dessous tes lois,
Quiconque Géant se rebelle,
Trouve leur déplorable sort,
Et qu’il ait de peine mortelle,
L’horreur d’une immortelle mort.

Troupe compagne au Dieu suprême,
Dessus qui ne peut le trépas,
Suis ma voix, et d’un zèle même
Maintenant ne t’épargne pas
À chanter l’heureuse victoire,
Du grand Jupiter ton recours,
Qui pour te conserver sa gloire
Ne veut que son bras de secours.

JUPITER.

Désormais du festin la liesse accomplie,

Ma prière la troupe en commandant supplie,

Qu’ensemble elle nourrisse une saincte union,

Qu’elle abhorre chassez les serpents d’Enyon,

Qu’une vraie amitié à l’envi cultivée,

Ne réserve rancune où publique, où privée,

Ainsi son heur atteint à la perfection,

Ainsi sûre toujours en ma protection,

Ennemi quel qu’il soit ne lui donne de crainte,

Allez vous reposer, allez brigade sainte :

Toi Junon conduiras ton gendre au lit nocier,

Qui te doit de la peine après remercier.

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